L’ancien chef de la cellule informatique à la direction des dépenses des personnels et des pensions au Minfi est reconnu coupable pour avoir inséré une cinquantaine de dossiers frauduleux dans la solde de l’Etat ayant facilité un décaissement de plus de 100 millions de francs. Ce détournement a été découvert en 2018.
La fin d’année est gâchée pour Hubert Abena. Ancien chef de la cellule informatique à la direction des dépenses des personnels et des pensions (Ddpp) au ministère des Finances (Minfi), un trio des juges du Tribunal criminel spécial (TCS) l’a reconnu coupable d’avoir facilité la commission d’une vaste fraude financière qui à permis de saigner le Trésor publics à hauteur de 145,8 millions de francs, notamment pour avoir introduit dans le fichier solde de l’Etat «55 faux états des sommes dues».
Les états de sommes dues sont des dossiers sur la base desquels le Trésor public effectue des paiements vulgairement appelés rappel (arriérés de salaires, de pensions, d’indemnités, d’avancements, pension de réversion, émoluments, frais de mission etc.) au profit des fonctionnaires en activité ou à la retraite. La fraude déplorée a été perpétrée au profit de 68 personnes (nommément identifiées) entre octobre et novembre 2019.
M. Abena s’est tiré d’affaires avec 15 ans d’emprisonnement ferme, le du ministère public avait requis la «peine maximale» : la prison à vie. Mais les juges ont plutôt accordé des «circonstances à atténuantes» à l’informaticien qu’ils ont qualifié de «délinquant primaire» pour sa «bonne tenue à la barre, répondant avec respect aux questions qui lui étaient posées». Outre la peine de prison, M. Abena devra payer à l’Etat du Cameroun, partie civile dans le procès, des dommages et intérêts à hauteur du montant en cause, augmenté des frais générés par la procédure (dépens) fixés à 7,4 millions de francs.
Emmanuel Leubou a dénoncé le détournement
Côté insolite, pendant que le tribunal lisait son jugement, on pouvait apercevoir dans la salle d’audience quatre dames se tenant les mains murmurant des prières accompagnées parfois de gros gestes vers le ciel Dans l’autre rangée, une femme d’un âge très avancé égrenait son chapelet. D’autres personnes dans la salle affichaient des signes d’impatience dans l’espoir, sans doute, de vivre le miracle en direct. Rien n’y a fait.
Avant de motiver la culpabilité de l’informaticien, le tribunal a planté le décor en revenant sur le fond de l’affaire. Chef de la cellule informatique de la Ddpp pendant plus d’une décennie, M. Abena avait été remplacé début 2015 par Emmanuel Leubou, longtemps son adjoint, par ailleurs camarade de bancs.
L’arrivée de M. Leubou aux commandes de ladite cellule informatique avait permis de démasquer de nombreux circuits frauduleux servant au siphonnage des caisses de l’État En fait, les vérifications faites sur le fichier solde de l’Etat par M. Leubou ont mis en nu de gros paiements indus, à savoir la suppression des remboursements des avances sur pension et sur soldes, des salaires payés à certains agents publics calculés au taux extérieur, un privilège exclusivement réservé aux fonctionnaires en service à l’étrange (ambassades, consulats et missions diplomatiques).
En mai 2018, suite à une enquête judiciaire portant sur les réseaux de fraude dénoncés par M. Leubou, ce dernier était mis aux arrêts. Bien que dénonciateur, on le soupçonnera d’être lui-même le cerveau de la vaste fraude qu’il a contribué à étaler au grand jour. Cette affaire de détournement est pendante devant le TCS.
Un démasqueur de détournement démasqué ?
Avec l’incarcération de M. Leubou en 2018, M. Abena a effectué son come-back au ministère des Finances, après un détour à la cellule Sigipes (Système informatisé de gestion intégré du personnel de l’Etat et de la solde) au ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative.
Pour cause : la direction générale du Budget avait mis sur pied un comité ad-hoc chargé du traitement des salaires et des états de sommes dues au motif que le remplaçant de M. Leubou n’était pas encore assez expérimenté pour assurer pleinement ses fonctions. Le Comité ad-hoc en question était présidé par Laurent Onguene Awana, alors directeur du Cenadi (Centre national de développement de l’informatique). Le comité avait pour adjoint M. Abena et comptait comme membres : Robert Simo Kengne, le directeur de la Ddpp, le chef service de la gestion du contentieux de la solde, le chef service des pensions militaires, entre autres.
bans la répartition des tâches au sein du Comité, indique l’accusation, M. Abena était censée n’inscrire en machine que les données issues des calcules effectués par les autres membres du comité, et mises à sa disposition à travers un fichier électronique. Il disposait d’un code secret (User) à cet effet. Problème : on fait le reproche à l’accusé d’avoir directement inscrit 55 états des sommes dues en machine sans les soumettre à un traitement préalable devant le reste du Comité. L’accusation avoir découvert que les dossiers querellés étaient truffés d’informations erronées.
Hors circuit normal…
En motivant sa décision, le tribunal a rappelé que pendant son témoignage M. Abena s’est «réfugié derrière l’absence d’un manuel de procédure» au sein du comité ad-hoc et «du travail collectif pour clamer son innocence». Défense rejetée par le tribunal au motif qu’«à aucun moment il ne ressort que [M. Abena] était habilité à recevoir les états des sommes dues». De plus, ajoute le tribunal, l’accusé a avoué pendant les enquêtes que les dossiers litigieux provenaient d’amis.
Pour le tribunal M. Abena «ne pouvait pas, au vue de sa longue carrière, de ses compétences avérées, de la confiance placée en lui par le ministre des Finances, des ennuis de Emmanuel Leubou [;..]» se permettre de poser les actes en cause. Ayant pris sur lui, insiste le tribunal, «de recevoir les dossiers hors circuit régulier il a facilité le paiement» querellé et permis à ses acolytes «d’extorquer les fonds publics» sur la base de faux états de sommes dues. D’où la complicité retenue contre sa personne.
«Comme je l’ai dit, dans mon for intérieur, je suis non coupable […] j’agissais sur instruction du ministre des Finances»
Pendant les débats, la défense avait estimé les poursuites boiteuses au prétexte que le parquet n’a jusqu’ici engagé aucune poursuite contre les véritables bénéficiaires des fonds querellés. Le tribunal a opposé que le parquet a l’opportunité des poursuites pour détournement, mais aussi la complicité d’un fait est une infraction autonome.
«Comme je l’ai dit, dans mon for intérieur, je suis non coupable […] j’agissais sur instruction du ministre des Finances», a affirmé M. Abena en guise de «dernière déclaration» avant que les juges ne se retirent pour plancher sur ses différentes peines. L’informaticien a profité de l’occasion en revenant brièvement revenant sur le travail du comité ad-hoc précisant que les dossiers litigieux «ont été traités dans un ensemble de 600 dossiers». «Je n’ai jamais eu cette intention de ma part de faciliter un détournement», a-t-il conclu.
Ça sera donc 15 ans fermes pour cette affaire. Selon une source proche du dossier, après la découverte du scandale déploré, le Minfi a décidé d’auditer non seulement la décennie de gestion de M. Abena à la cellule informatique de la Ddpp, mais aussi la période couvrant tout son séjour au sein du comité ad-hoc. Cet audit impute à l’informaticien, indique la source, une (autre) supposée complicité de détournement de près de 2 milliards de francs. Cette procédure n’est qu’au stade de l’enquête policière devant le TCS.
Journal Kalara