Michelle Ndoki est la première vice-présidente nationale des femmes du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun.
Elle se questionne sur les raisons qui font que l’on ne se s’émeuve quand des choses insensées nous arrivent.
Ceci est une tribune libre.
Michelle Ndoki : Pourquoi on n’entend pas notre cri ?
Vous vous demandez parfois ce que veulent dire certains mots que vous connaissez parfaitement, que vous avez utilisé toute votre vie, mais que vous n’avez jamais songé à définir ? Moi ça m’arrive, et là, j’ai voulu rechercher le sens du mot « cri ». Sur le site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, le CRI est défini ainsi : Son(s) généralement bref(s) et aigus(s), émis instinctivement par les cordes vocales sous l’effet de certaines émotions. Ou encore : Brèves paroles prononcées à pleine voix pour prévenir quelqu’un, pour exprimer quelque chose, et en ce sens, un appel ou un avertissement, en cas de danger ou pour encourager à la lutte. Le cri, poursuit le texte, est une voix intérieure puissante, traduisant spontanément une opinion sincère, un élan de l’âme.
Pourquoi on n’entend pas notre cri ? Je me suis posé cette question encore, en lisant les nouvelles qui s’enchaînent : A Ekondo Titi, Emmanuel Orume, 12 ans, Emmanuel Kum, 17 ans, Joyceline Iken, 16 ans ont été tués dans l’attaque d’une école, de même que Mme Song Celestina Fien, enseignante de français.
A Bamenda, Brandy Tataw, 7 ans, sortait de l’école quand un « tir de sommation » destiné à un véhicule qui refusait d’obtempérer à un contrôle routier l’a atteinte, dans la rue. Elle est morte sur le coup, comme Carolouise, 6 ans, 29 jours avant elle, à Buea. Comme tant d’autres, qui meurent tous les jours, tous les jours que Dieu fait, quelque part sur notre Terre, le Berceau de nos ancêtres, dont personne ne connaît les noms, parce que c’est dur à dire, mais ils étaient adultes, alors c’est « moins grave ».
A Buéa, le 12 novembre 2021, une explosion a fait plusieurs blessés à l’Université de Buea. L’engin explosif aurait été lancé sur le toit d’un amphithéâtre.
Et puis le quotidien Le Jour a annoncé que « Les avocats des détenus séparatistes déposent les robes ». Les avocats des détenus suite à l’annonce d’une nouvelle vague de protestation par le Président et le porte-parole du MRC avaient eux aussi annoncé le 14 septembre dernier qu’ils renonçaient à défendre leurs clients, et les clients à se défendre.
Pourquoi on n’entend pas notre cri ? Qui l’étouffe, eux, nous ? Le cri, ce n’est pas une manœuvre, pas quelque chose qui nécessite une réflexion, une préparation, une organisation. C’est un ELAN D’AME. C’est instinctif, primaire, ça dit que nous sommes là, que nous sommes VIVANTS, et que nous voulons le rester. C’est ce qui s’est passé à Buea le 14 octobre, à Bamenda le 12 novembre. Les gens, les femmes surtout, criaient. Ils ne disaient pas une revendication politique, ne portaient pas le drapeau d’un pays, pas de pancarte avec un message, ils criaient, simplement.
Et cela suffisait, nous avons tous compris ce qu’ils exprimaient, tout ce qu’il y a à dire sur ce qui nous arrive. Pas seulement à Carolouise ou à Brandy, ou à leurs parents, à ceux qu’elles aimaient, pas seulement Achille Rodrigue, ou à sa mère, sa ou ses sœurs et frères, à tous ceux qui l’ont connu, aimé et pleuré. A nous tous. Le 14 octobre 2021 à Buea, comme le 24 octobre 2020 à Kumba, le 14 février 2020 à Ngarbuh, il y a eu des cris. Et puis ils se sont tus. Pourquoi se sont-ils tus, pourquoi l’appel, l’avertissement, cette voix intérieure puissante, s’éteint-elle si vite, s’entend-elle si peu ?
Que faut-il comprendre ? Ce n’est pas assez grave, ce n’est pas assez horrible, ce n’est pas à nous que ça arrive ? Mais alors qui c’est, NOUS ? La famille au sens strict, la famille au sens large, le clan, le village, le quartier, la ville ? Le pays ? Qu’est-ce que ça veut dire, le pays ? Les journalistes assassinés, les villages effacées de la carte, les avocats sur lesquels on tire en salle d’audience, le système judiciaire qui s’effondre, les personnes arrêtées de manière totalement aléatoire dans une rue de leur quartier, parfois même chez elles, déportées à des centaines de kilomètres, incarcérées pendant des années, pour finir par apprendre qu’ils n’auront plus d’avocat, donc qu’il n’y aura pas/plus de procès ?
Quand un jour, par hasard, des hommes armés vous arrachent à votre vie, d’autres vous jettent dans un endroit surpeuplé, sale, nauséabond, dont les murs suintent de violence, de peur et de désespoir, et que personne ne sait quand vous sortirez, ça arrive à qui ? Les « sécessionnistes », les « anglophones », les « Boko Haram », les « MRCistes », eux, nous, QUI ? Nous voyons, nous entendons, nous SAVONS. Les cris de détresse des victimes de l’oppression et de la répression d’Etat nous sont parvenus, donc nous SAVONS.
Mais alors, mais enfin POURQUOI ON N’ENTEND PAS NOTRE CRI ? Que dit notre silence sur ce que nous sommes, Enfants de ma Terre, aujourd’hui ?