La nouvelle taxe de 4 FCFA sur les transactions financières au Cameroun, instaurée dans le cadre de la loi de finances 2025, est une mesure fiscale qui suscite des débats et des inquiétudes, notamment dans le secteur bancaire et parmi les utilisateurs de services financiers. Voici une analyse détaillée de ce sujet, basée sur les informations disponibles et les implications économiques et sociales :
Contexte et détails de cette nouvelle taxe de 4 FCFA
La taxe de 4 FCFA s’ajoute à la taxe sur les transferts d’argent (TTA) de 0,2 % déjà en vigueur depuis le 1er janvier 2022, conformément à la loi de finances 2022. Cette nouvelle mesure, précisée dans l’article 2028 de la loi de finances 2025, s’applique à une large gamme de transactions financières, y compris :
- Les virements bancaires.
- Les retraits en espèces.
- Les paiements par carte bancaire.
- Les transferts de titres et autres transactions électroniques effectuées via des plateformes traçables, notamment les services de mobile money (comme Orange Money et MTN Mobile Money).
Cette taxe fixe de 4 FCFA par transaction vient s’ajouter au prélèvement proportionnel de 0,2 % sur le montant des transactions. Par exemple, pour un retrait de 500 000 FCFA, un utilisateur paierait désormais :
- 0,2 % de 500 000 FCFA = 1 000 FCFA (TTA).
- 4 FCFA supplémentaires pour la nouvelle taxe.
- Plus les frais habituels de l’opérateur (par exemple, 3 500 FCFA pour un retrait de ce montant via Orange Money, selon les tarifs antérieurs à 2025).
Ainsi, pour un retrait de 500 000 FCFA, les frais totaux pourraient atteindre environ 4 504 FCFA, contre 4 500 FCFA auparavant, ce qui représente une augmentation notable pour les utilisateurs fréquents.
Le petit peuple doit toujours payer
Le gouvernement camerounais justifie cette mesure par la nécessité d’élargir l’assiette fiscale et d’augmenter les recettes de l’État pour financer un budget ambitieux. En 2022, la TTA avait déjà généré 7,3 milliards de FCFA entre février et mai, avec une projection de 20 milliards de FCFA pour l’année entière, un objectif qui a été dépassé. La nouvelle taxe de 4 FCFA vise à capitaliser davantage sur l’explosion des transactions électroniques, notamment via le mobile money, qui représente un marché significatif au Cameroun. Selon la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), en 2020, le Cameroun comptait 19,5 millions de comptes Mobile Money sur les 30,1 millions recensés dans la zone CEMAC, soit 64,8 % du total, avec 73,13 % des transactions de la communauté.
Le gouvernement considère les paiements électroniques comme une niche fiscale importante, notamment parce que le volume des transactions mobiles est colossal : en 2021, Orange Money revendiquait des transactions mensuelles cumulées de 800 milliards de FCFA, soit 9 600 milliards par an, presque deux fois le budget de l’État pour cet exercice. Cette mesure s’inscrit dans une stratégie plus large de mobilisation des ressources pour soutenir la Stratégie Nationale de Développement.
Le secteur bancaire est inquiet
Le secteur bancaire a exprimé des préoccupations quant à l’impact de cette taxe, tant sur les institutions financières que sur les consommateurs. Voici les principaux points de tension :
- Impact sur l’inclusion financière :
- Le Fonds monétaire international (FMI) avait déjà critiqué la TTA de 0,2 % en 2022, estimant qu’elle était fiscalement inéquitable et entravait l’inclusion financière, en particulier pour les populations pauvres et non bancarisées, souvent rurales, qui dépendent des services de mobile money pour accéder aux services financiers. L’ajout de 4 FCFA par transaction risque d’aggraver cette situation, car les coûts supplémentaires pourraient décourager l’utilisation des services numériques, freinant ainsi l’adoption des paiements électroniques.
- Les petites transactions, fréquentes parmi les populations à faible revenu, deviennent proportionnellement plus coûteuses, ce qui pourrait pousser certains utilisateurs à revenir à des transactions en espèces, moins traçables et donc moins taxables, réduisant potentiellement les recettes fiscales escomptées.
- Pression sur les opérateurs financiers :
- Les opérateurs de télécommunications (Orange, MTN) et les établissements bancaires, en tant que redevables légaux, doivent collecter, déclarer et reverser cette taxe au fisc avant le 15 du mois suivant. Cela implique des ajustements techniques coûteux pour intégrer la nouvelle taxe dans leurs systèmes, ainsi qu’une charge administrative accrue.
- Certains opérateurs craignent que la taxe ne réduise le volume de transactions, affectant leurs revenus issus des commissions. En 2022, des plaintes similaires avaient émergé, certains acteurs dénonçant une double imposition, car la TTA était prélevée à la fois sur l’envoi et le retrait d’argent.
- Impact sur les entreprises :
- Les entreprises, en particulier les PME qui utilisent les paiements mobiles pour leurs transactions, subissent une charge supplémentaire. La taxe de 4 FCFA, bien que faible, s’accumule pour les entreprises effectuant de nombreuses transactions, impactant leur trésorerie. De plus, cette taxe n’est pas déductible dans le calcul du précompte sur le chiffre d’affaires, ce qui constitue une perte nette pour les entreprises.
- Le secteur privé craint une stagnation, voire une régression, de l’adoption des paiements électroniques si les coûts deviennent prohibitifs.
Réactions des consommateurs et de la société civile
La taxe a suscité une vague de mécontentement, similaire à celle observée lors de l’introduction de la TTA en 2022. Sur les réseaux sociaux, des utilisateurs comme @agMballa ont exprimé leur incrédulité face à cette mesure, questionnant la logique de taxer chaque transaction de 4 FCFA. Des figures comme Rebecca Enonchong, actrice du secteur numérique, avaient dénoncé en 2022 la TTA comme une « taxe contre l’innovation » et les populations pauvres, un sentiment qui pourrait se renforcer avec cette nouvelle taxe.
Les consommateurs craignent une érosion de leur pouvoir d’achat, déjà fragilisé par la hausse des prix des produits de première nécessité (comme la bière) et d’autres taxes introduites récemment. Les petites transactions, essentielles pour les ménages modestes, deviennent plus coûteuses, ce qui pourrait limiter l’accès à des services essentiels.
Analyse critique
Si l’objectif du gouvernement est de maximiser les recettes fiscales, la taxe de 4 FCFA pourrait être contreproductive à long terme. Comme l’a souligné le FMI, taxer les transactions électroniques risque de freiner l’inclusion financière et de modifier les comportements des consommateurs, qui pourraient privilégier des moyens de paiement non taxés, comme le cash. Cela pourrait réduire le volume des transactions traçables, limitant ainsi les recettes fiscales escomptées.
De plus, l’absence de communication claire et anticipée sur cette taxe, comme ce fut le cas pour la TTA en 2022 (annoncée via des messages d’opérateurs), pourrait alimenter la méfiance des citoyens envers les politiques fiscales. Une meilleure sensibilisation et des mesures compensatoires (comme des exemptions pour les transactions de faible montant) pourraient atténuer l’impact sur les populations vulnérables.
Perspectives
- Court terme : Les opérateurs comme Orange et MTN ont déjà informé leurs clients de l’augmentation des frais à partir du 1er janvier 2025. Les consommateurs devront s’adapter, mais les petites transactions pourraient diminuer, affectant les opérateurs et les recettes fiscales.
- Long terme : Le gouvernement devra évaluer l’impact réel de cette taxe sur l’économie numérique et l’inclusion financière. Une révision pourrait être envisagée si les effets négatifs (baisse des transactions, retour au cash) l’emportent sur les gains fiscaux.
- Comparaison régionale : D’autres pays africains, comme le Ghana et la Tanzanie, ont expérimenté des taxes similaires, parfois avec des reculs partiels face aux protestations. Le Cameroun pourrait tirer des leçons de ces expériences pour ajuster sa politique.
Cette taxe de 4 FCFA sur les transactions financières n’est modeste qu’en apparence. Elle s’ajoute à un contexte fiscal déjà très tendu. Pour les concepteurs, elle vise à diversifier les recettes de l’État. Cependant, dans un environnement gangréné par la corruption, elle va alourdir la charge financière des consommateurs. Et les conséquences sont nombreuses. Les plus modestes de la sociétés vont en empâtir. Elle devrait freiner l’essor du mobile money, un pilier de l’inclusion financière. Les inquiétudes du secteur bancaire et les critiques des citoyens le soulignent à juste titre.