Le journaliste raconte sa rencontre en prison avec l’ex ministre de la Défense Edgar Alain les Mebe Ngo’o. Et conclut que nul n’est « intouchable » au pays de Paul Biya. Voici son récit.
«Il était 06 heures du matin ce jour là, à la prison centrale de Yaoundé. Nous venions juste de terminer notre prière matinale de 04 heures, comme à l’accoutumée, avec de nombreux frères de la communauté protestante du quartier 1.
Après le dernier cantique et l’ultime Amen suivi de quelques accolades, l’un des frères en Christ , un ancien haut comptable qui séjournait en prison dans le cadre de l’affaire Mendo Ze lança aussitôt : » Qui l’eût cru dans ce pays? Mebe Ngo’o ici avec nous en prison ? »
Il ne fallait plus que ça pour que chacun y aille de son commentaire. J’écoutais alors avec une certaine attention, chacun de mes compagnons d’infortune ,s’étonner de ce qu’un » intouchable » , un « dauphin » ou encore un fils putatif se retrouve en prison. Cela semblait difficile à croire.
Cette discussion qui venait d’être entamée dans cette agora improvisée, n’était pas prête de s’arrêter. Toujours est-il que j’avais remarqué que les uns et les autres s’accordaient sur le fait que le Président de la République, ne semblait sérieusement privilégier aucune amitié ni aucune familiarité quand il lui fallait sévir dans le cadre de certains affaires d’Etat ou de la République qui revêtent une certaine gravité.
Au moment de nous disperser aux environs de 08 heures du matin , j’avais directement pris le chemin du quartier spécial 14 (le quartier où sont détenus plusieurs prisonniers de l’opératon Épervier). Un quartier où j’avais pris mes habitudes, aux côtés du Ministre MEBARA , avec qui je passais l’essentiel de mon temps . Son local était le dernier au rez- de-chaussée et celui du professeur Gervais Mendo ZE venait juste avant le sien.
Ce jour là , sans me douter de quoi que ce soit, je vais alors entreprendre de m’arrêter au local du Professeur Mendo ZE , pour un bref bonjour, avant de continuer.
En entrant dans son local, je le retrouvais là, prenant des petites notes, assis sur ce qui lui servait de lit. En fait,je le croyais toujours tout seul dans ce local et, loin de moi l’idée d’imaginer qu’on venait de lui adjoindre un voisin de chambre.
Après l’avoir salué et qu’il ait pris soin de demander de mes nouvelles en langue Bulu , c’est alors que je vais subitement me retourner, à la suite d’un fracas de lit dont le bruit résonnait à mon arrière.
Après m’être retourné, je n’oublierais alors jamais le choc que j’avais ressenti. C’était le tout puissant Edgard Alain MEBE NGO’O, qui s’était réveillé et qui se frottait les yeux. Il essayait de s’asseoir sur son petit lit d’infortune avec beaucoup de peines. Sa chemise était froissée et il avait un regard hagard.
Je l’avais aussitôt salué et il m’avait demandé si j’étais également en prison. Alors que je voulais lui répondre, c’est le Professeur Mendo Ze qui prit la parole pour lui dire en Bulu : « C’est notre fils Eboutou dont tu as certainement entendu l’histoire pathétique dans la presse ». La suite, je la raconterais un autre jour…
Toujours est-il que ce jour là, un mythe venait d’être brisé dans mon esprit . Le très charismatique personnage que j’avais souvent vu dans les médias, avec des costumes trois pièces, parlant à l’oreille du Président, qui se déplaçait en cortège et dont on disait qu’il était le successeur tout trouvé du Président , était là devant moi, dans ses plus mauvais jours. Sa mine pathétique m’avait presque fendu le cœur.
Le même soir, je l’avais aperçu, cette fois, en compagnie de son épouse Bernadette franchir la grande cour de la prison Centrale, sous les railleries de nombreux prisonniers, pour se rendre à la petite cour administrative (cour d’honneur) rencontrer le patron des lieux , le Régisseur. Ce triste spectacle m’avait une fois de plus laissé sans voix!
En réalité, c’est depuis ce jour là que j’ai compris que le Président Paul BIYA n’a pas d’amis ni de protégés. Je crois qu’il a son temps , son style et surtout son chronogramme. Il lui arrive de faire croire à certains qu’ils jouissent d’une immunité naturelle et par la même occasion, de conforter la fausse thèse selon laquelle , il est sourd aux cris du peuple, jusqu’à ce qu’il sorte de sa fausse léthargie, pour frapper avec une rare violence.
Je me suis rappelé de la journée ensoleillée de ce fameux dimanche de fin d’année de 2018 ou mon grand-père, le Révérend Pasteur Jean Ango de regrettée mémoire aujourd’hui, était venu me chercher dans ce lieu maudit. Alors que je passais ma dernière journée dans cette fosse aux Lions que m’ont imposé les fils de Mephisto, le professeur Bekolo EBE, ancien Recteur de l’université de Douala avait tenu à me donner un dernier cour magistral que je n’oublierais jamais.
Il m’avait dit en substance qu’il avait observé avec admiration comment j’avais bravé mon injustice avec beaucoup de dignité. Qu’il tenait simplement à me dire de ne jamais oublier qu’il existe une loi immuable. Il l’avait appelé « la loi de la finitude ». Il m’avait dit que c’est une loi irréfutable qui consacre la réalité implacable qui veut qu’il vient un jour où, TOUT FINI PAR FINIR !!
Quel qu’en soit ton niveau de grandeur , de puissance qui te font penser que tu es un super citoyen, au dessus d’une masse appauvrie qui réclame justice, il viendra un moment où même la nature te fera descendre de ton piédestal!
Nous avons connu plus puissants dans ce pays.Titus Edzoa, Marafa Hamidou Yaya, Abah Abah, Atangana Mebara, Olanguena Awono, Belinga Eboutou…
Narguez ! Mentez ! Continuez de corrompre , riez, humiliez , faites plaisir à vos fantasmes les plus jouissifs…mais sachez que ce jour arrive et il arrive bientôt, car demain n’est pas encore écrit !!».