L’économiste Louis-Marie Kakdeu, dévoile ses attentes envers le gouvernement en matière d’industrialisation au Cameroun en 2023. Pour le membre du Shadow cabinet du SDF (Économie, Finances et Commerce), cela passe entre autres pas la baisse des impôts.

Le ventre mou de la politique industrielle au Cameroun est le manque de matière première. Soyons d’accord ! Nous ne disons pas que c’est le seul problème qui existe. Il faut bien sûr que tous les facteurs de production soient réunis notamment les infrastructures, l’énergie, le transport, la formation, etc. Mais, nous disons que les promoteurs qui arrivent à trouver des solutions alternatives pour produire localement font face au manque de matière première. Cela peut sembler curieux mais voici le tableau :

  1. La pyramide de production au Cameroun révèle que l’activité repose sur les petits producteurs de matière première. En 40 ans, le régime Biya a été incapable d’inverser cette tendance afin de permettre que l’on parte des exploitations familiales (au nombre de 3 millions en 2005 lors du troisième recensement général de la population) aux réelles entreprises (même familiales). Pire, pendant le règne de Biya, plus de 90% du peu d’industries qui existaient (188 au total) ont fermé. Les rares zones industrielles qui existent accueillent en majorité les sociétés forestières qui pillent le pays. Rien ne peut marcher dans ces conditions.
  2. Même l’essentiel des entreprises industrielles créées entre temps ont fermé par manque de maturation. En d’autres termes, elles ont continué dans l’approche produit au lieu d’adopter l’approche marché. Elles ont voulu produire sans chercher à savoir où viendra la matière première et qui achètera.
  3. Les initiatives industrielles privées ont muté pour l’essentiel vers l’informel qui domine l’économie à près de 90% en raison de la forte pression fiscale et des tracasseries administratives. En 2011, il y avait 2,5 millions d’Unités de Production Informelles (UPI) répertoriées au Cameroun par l’INS. Imaginez seulement ce que serait le paysage économique national si ces UPI étaient formelles !

Au regard du diagnostic sommaire qui précède, il n’y a pas mille choses à faire :

  1. Au niveau du ministère des finances (impôts, douanes), il faut lutter contre l’informel en 2023. Pour ce faire, l’option doit être d’élargir l’assiette fiscale non par à la verticale comme c’est actuellement le cas, mais bien à l’horizontale. En d’autres termes, il faut baisser les impôts pour attirer les 2,5 millions d’UPI répertoriées au lieu de surcharger un peu plus chaque année le peu de contribuables qui existent (et qui représentent moins de 10% de la population active nationale).
  2. Au niveau des ministères en charge de l’économie (agriculture, élevage, industrie, PME et PMI, etc.), il faut augmenter la production des matières premières. Cela passe par la simplement budgétisation de la vulgarisation des connaissances scientifiques, techniques et technologiques (même endogènes) qui existent. L’indicateur de réussite serait l’augmentation du taux d’utilisation des semences améliorées, du machinisme agricole (pour la production et l’irrigation), du système financier (banque, assurance agricole), etc.
  3. Au niveau du ministère du commerce, il faut structurer le marché et l’orienter vers le made in Cameroon. En 2022, le Mincommerce avait réservé 341 millions de FCFA à la promotion du made in Cameroon orientés vers le voyage à travers le monde en vue d’assister aux foires (en compagnie des petites). Non, il faut cesser de s’amuser alors que le pays est en péril. Il faut déjà pousser les 26 millions de Camerounais à consommer local avant d’aller attaquer le marché international. Pour ce faire, il faut développer un Partenariat Public-Privé (PPP) avec les agences de communication et autres régies publicitaires pour promouvoir les produits du terroir. En effet, avant d’inciter les investisseurs à produire massivement, il faut pouvoir leur garantir l’existence d’un marché réceptif.
  4. Toujours au niveau du Mincommerce, il faut créer des plateformes (même électroniques) de connexion des producteurs (fournisseurs) aux acheteurs (industrie). Deux problèmes techniques se posent en l’état. D’une part, il y a 43% de pertes post-récoltes d’après le ministère en charge de l’agriculture (MINADER), ce qui veut dire que près de la moitié du peu de matière première qui existe pourrit avant d’arriver au marché. D’autre part, pendant que les producteurs cherchent les acheteurs d’un côté, les acheteurs cherchent les fournisseurs de l’autre côté, ce qui n’est qu’un problème d’information. Pour résoudre le premier problème, il faut intégrer le management des pertes post-récoltes. On ne doit plus voir dans le paysage commercial national des commerçants et autres producteurs qui déversent dans la poubelle des produits pourris qui pouvaient servir de matière première à une industrie. J’attends de voir si le gouvernement a prévu un programme de Gestion des Pertes Post-Récoltes. Pour le deuxième problème, il faut appliquer l’approche des clusters. Il s’agit de l’agrégation des petits producteurs isolés pour servir les besoins de l’industrie locale. En l’état, le ministère en charge de la jeunesse prétend piloter quelques clusters mais, dans le mauvais sens. Il s’agit des clusters Ananas par exemple qui ne sont rien d’autres que la reformulation de la structuration des producteurs par filières (orientation produit). On n’aide pas les producteurs en les mettant ensemble entre eux (accentuation des rivalités concurrentielles) comme si l’on voulait les syndiquer (ce serait même une ancienne approche du mouvement syndical). Il faut regrouper les acteurs par lien commercial. Cela veut dire que l’on doit mettre le producteur ensemble avec son acheteur afin que les deux se défendent et se soutiennent mutuellement. L’approche des clusters, si bien appliquée, offre tous ces avantages structurels et permet surtout de sortir les petits producteurs de l’isolement. Mieux, elle permet de sortir les acteurs industriels de l’informel et de contribuer à l’économie nationale.

On attend donc du gouvernement qu’il prenne ses responsabilités au niveau technique et au niveau budgétaire dans la mesure où l’on ne budgétise que les activités à mener. En matière d’industrialisation, nous serons donc très regardant sur les activités à mener et sur le budget réservé à ces activités. Nous vous reviendrons avec les activités non-essentielles à supprimer pour alléger le budget. En attendant, le slogan gouvernemental de l’industrialisation par application de la politique de l’import-substitution reste creux.

Louis-Marie Kakdeu,
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