Il y a deux mois, le 20 janvier, Affaires mondiales Canada annonçait un exploit diplomatique. La facilitation de pourparlers visant à résoudre la « crise anglophone » destructrice dans les régions anglophones du Cameroun. Trois jours plus tard, le gouvernement camerounais refutait ces pourparlers. Et pourtant, il a participé à plusieurs séries de discussions préalables. Il faut chercher les raisons dans l’économie de guerre et la corruption.

La brusque volte-face du Cameroun peut laisser les diplomates perplexes. De multiples facteurs, tels que le fractionnement au sein du gouvernement, la concurrence entre les dirigeants, les préoccupations intérieures comme l’assassinat du journaliste Martinez Zogo et les fonds disponibles à l’étranger, y ont probablement contribué. Cependant, après six ans de conflit, le rôle de l’économie de guerre ne peut être ignoré. À ce stade, le conflit ne concerne pas seulement les griefs politiques, mais aussi l’extorsion opportuniste et la perpétuation d’un « système d’exploitation » corrompu.

La corruption est un « secret de polichinelle » au Cameroun. Elle s’étend des hautes fonctions aux fonctions les plus subalternes. Et ce, depuis des décennies. L’avènement de la crise anglophone a fourni de nouvelles options et motivations pour voler en toute impunité.

Économie de guere et corruption s’entre alimentent

La crise a permis aux militaires, gendarmes, policiers et agents pénitentiaires d’extorquer chaque jour d’importantes sommes d’argent. Aux points de contrôle routiers, aux postes de la légion, aux gares et aux prisons. Les militaires en uniforme pillent les maisons et les boutiques, parfois en les brûlant ensuite. Le pretexte est qu’ils sont à la recherche de combattants séparatistes.

Selon des sources locales, les soldats postés aux barrages routiers près de Bamenda, la capitale de la région du Nord-Ouest, font payer l’équivalent de 1000 FCFA par jour à chaque poste de contrôle. Parcourir 20 kilomètres à travers les 10 barrages entre Bamenda et la ville voisine de Bali est une entreprise coûteuse. Dans cette région, la plupart des gens gagnent entre 500 à 1200 FCFA par jour.

À Buea, la capitale de la région du Sud-Ouest, les barrages coûtent encore plus cher. 2500 pour les petits véhicules. 3500 pour les bus, 4500 pour les camions. C’est 4500 pour les véhicules commerciaux transportant des marchandises. Dans certains cas, des postes de contrôle sont mis en place par des fonctionnaires locaux. Ils collectent  « l’argent des conducteurs et le partagent avec les soldats ». Cela suggère que cette pratique peut s’étendre à la hiérarchie. Et cela participe à l’entre tien de l’économie de guerre.

Une source affirme que les policiers et les gendarmes camerounais reclament entre 1000 et 100 000 FCFA en « choko » pour les civils détenus, en fonction du statut de la victime. Amnesty International confirme que des civils anglophones sont régulièrement arrêtés arbitrairement sur la base de fausses accusations. Leurs familles doivent ensuite payer pour leur libération.

Politiques de corruption

Les prisons offrent également des possibilités d’extorsion. Amnesty a dénoncé la surpopulation carcérale, les prisonniers devant parfois payer pour un espace où s’allonger. Un prisonnier a déclaré que lors de son procès, le juge – par l’intermédiaire du greffier – a proposé de le libérer pour 1 million de francs CFA. Sa prison est « remplie d’hommes anglophones arrêtés pour des raisons ridicules, mais ils n’ont pas les moyens de payer des pots-de-vin pour sortir ».

Selon un soldat, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat : « Tout soldat qui ne rentre pas de ses sorties avec une énorme somme d’argent est considéré comme un imbécile ». Il affirme que les anciens combattants séparatistes qui sont sortis de la brousse pour réclamer l’amnistie, paient des « amendes énormes » aux soldats pour se libérer du programme gouvernemental de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR).

Ces exemples semblent être des initiatives individuelles, et non une politique du gouvernement camerounais. Cependant, même si les hautes autorités ne sont pas directement impliquées, elles ferment les yeux. Il est possible que le gouvernement autorise le vol de civils pour éviter à l’administration de payer des salaires adéquats à ses forces de défense et de sécurité.

L’extorsion n’est pas l’apanage des forces camerounaises. Les milices séparatistes enlèvent fréquemment des civils non armés pour obtenir une rançon. Ils demandent de l’argent pour leur protection et des « taxes » dans les zones qu’elles contrôlent. Et collectent des paiements aux barrages routiers.

Dans certains cas, l’armée et les séparatistes convergent vers l’extorsion. Des sources indiquent que les services de sécurité et les groupes séparatistes peuvent installer des barrages routiers à proximité les uns des autres, conscients de la présence de l’autre, théoriquement en guerre l’un contre l’autre, mais unis dans leur désir d’extorsion.

Un autre pan de l’économie de guerre, des « ennemis » qui se transforment en associés

On signale également que les forces de sécurité vendent des armes et des munitions aux groupes séparatistes qu’elles combattent, ce qui constitue une trahison mais une activité lucrative. L’administration peut être indifférente au sort des troupes de première ligne, sachant qu’il existe une réserve de jeunes hommes sans emploi prêts à remplacer les soldats tombés au combat.

Le 24 janvier, le lendemain du jour où le Cameroun a refusé les pourparlers menés par le Canada, le ministère de la défense a lancé une campagne de recrutement de 6 000 soldats. Chaque candidat doit payer entre 12500 et 15000 FCFA pour postuler, à titre de « frais ». Transparency International souligne que l’article 71 du Code des marchés publics du Cameroun de 2018 exempte de tout contrôle l’acquisition d’articles de défense et de sécurité liés à l’armement, ce qui constitue une autre occasion d’enrichissement.

Les opportunités d’enrichissement existent donc à tous les niveaux. Même au niveau de la gouvernance, la crise a ouvert de nouvelles voies à l’enrichissement personnel. Par exemple, l’Assemblée régionale du Nord-Ouest a choisi d’acheter huit nouvelles voitures pour ses membres exécutifs avec des fonds ostensiblement destinés à la reconstruction des routes ou à d’autres besoins urgents.

Des incitations à la perpétuation du conflit affinent l’économie de guerre

Joseph Siegle, de la National Defense University des États-Unis, décrit la monétisation de la violence comme « des incitations à la perpétuation d’un conflit ». Les possibilités de corruption offertes par la crise anglophone sont nombreuses. Ses avantages ont probablement encouragé certains membres du gouvernement et de l’appareil militaire camerounais à empêcher toute résolution.

Par exemple, le 28 janvier, des combattants séparatistes ont incendié le village d’Eshobi près de Mamfe dans la région du Sud-Ouest. Ils ont tué un civil et kidnappé cinq autres, sous le regard des soldats camerounais. Un commentateur a suggéré que les soldats n’avaient peut-être aucun intérêt pécuniaire à protéger les civils.

Le « système d’exploitation » quotidien du Cameroun repose tellement sur la corruption à travers le pays. Il est tellement renforcé par la crise anglophone.  Ces pourparlers de paix sont perçus comme une menace pour les « extra » des services de sécurité et d’autres figures du gouvernement, il est compréhensible que certaines factions du gouvernement du président Paul Biya s’y opposent. Pour eux, le statu quo dans les régions est préférable. Ils profitent de la guerre et des largesses de la protection pour être des acteurs de l’économie de guerre.

Les pourparlers menés par le Canada offrent une chance unique de tracer un avenir pacifique et prospère pour les citoyens. Ces camerounais qui souffrent depuis longtemps, mais la corruption peut y faire obstacle. La population locale le comprend. Et la communauté internationale doit en tenir compte lorsqu’elle encourage Yaoundé à revenir à la table des négociations.

Par Rebecca Tinsley, journaliste et auteur de When the Stars Fall to Earth : A Novel of Africa

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