À moins de deux mois de l’élection présidentielle du 12 octobre 2025, le Cameroun s’apprête à revivre un scénario familier, presque rituel. Paul Biya, 93 ans au compteur et au pouvoir depuis 1982, se présente pour un huitième mandat, face à une opposition qui, une fois de plus, semble engagée dans une course suicidaire. Onze candidats d’opposition contre un seul sortant : dans un scrutin à un tour, ce n’est pas une bataille, c’est une débandade. Jeune Afrique pose la question sans détour dans son édition de cette semaine : l’opposition camerounaise est-elle la plus bête d’Afrique ? Le constat est amer, mais il s’impose face à cette incapacité chronique à s’unir, alors que l’union ferait la force – ou du moins, offrirait une chance réelle de bousculer l’ordre établi.
Une division qui remonte aux sources
Rien de nouveau sous les tropiques camerounaises. Dès les années 1990, après l’introduction du multipartisme, l’opposition s’est distinguée par ses querelles intestines plutôt que par une stratégie cohérente. En 2004, déjà, un article de Jeune Afrique titrait « Comment l’opposition s’est suicidée », soulignant l’égocentrisme des leaders qui préféraient briller seuls plutôt que de fusionner leurs forces. Vingt ans plus tard, le refrain est le même. Malgré des appels répétés à une candidature unique, les ego et les rivalités ethniques – ou simplement personnelles – ont eu raison des bonnes intentions. Une dizaine de partis ont bien tenté de désigner un « candidat consensuel » lors de réunions à Foumban et Yaoundé, mais rien n’y a fait. Maurice Kamto, le poids lourd de l’opposition, a été écarté par le Conseil constitutionnel pour un vice de forme lié à son nouveau parti, le Manidem. Résultat : les autres, comme Issa Tchiroma Bakary, Bello Bouba Maïgari, Cabral Libii ou encore Joshua Osih, se disputent les miettes d’un vote éparpillé.
François Soudan, rédacteur en chef de Jeune Afrique, ne mâche pas ses mots dans son éditorial : « Cette dispersion équivaut à un suicide politique collectif. Chaque voix divisée renforce mécaniquement le candidat sortant. » Et Biya, lui, n’a même pas besoin de multiplier les meetings. Son parti, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), mise sur la léthargie nationale et les divisions de l’adversaire. Dans le Septentrion, bastion historique du pouvoir, les anciens alliés défectionnaires comme Maïgari et Tchiroma se sont repliés, mais sans impact réel. L’opposition, elle, joue la figuration : la bataille n’est plus de gagner, mais d’être le meilleur perdant pour négocier des postes ou des faveurs post-électorales.
Kamto, l’absent qui pèse lourd
L’exclusion de Maurice Kamto, ancien ministre de la Justice passé dans l’opposition en 2018, est le coup de grâce. Leader du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), il avait mobilisé des foules impressionnantes lors de la dernière présidentielle, contestant les résultats avec vigueur. Cette fois, son recours rejeté par le Conseil constitutionnel – une décision qualifiée de « plus politique que juridique » par ses avocats – a accéléré l’explosion du camp anti-Biya. Ses partisans dénoncent un « hold-up électoral », avec des manifestations dispersées à coups de gaz lacrymogène devant l’institution. Sans Kamto, qui pouvait prétendre à un score honorable (autour de 20 % en 2018), les autres candidats peinent à fédérer. Akere Muna, avocat respecté et figure de la société civile, plaide pour une union, mais ses appels tombent dans le vide. Hermine Patricia Tomina Ndam Njoya, seule femme en lice, apporte une touche de diversité, mais son influence reste limitée.
Le contexte n’aide pas : la crise anglophone dans les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest perdure depuis 2016, avec plus de 160 000 déplacés internes et des accusations de violations des droits humains de part et d’autre. Ajoutez à cela la menace de Boko Haram à l’Extrême-Nord, un chômage galopant chez les jeunes (plus de 60 % de la population a moins de 35 ans) et une économie en berne. L’opposition pourrait capitaliser sur ces frustrations, mais elle préfère s’entredéchirer. Au micro de RFI, Soudan analyse : « C’est un rendez-vous électoral presque joué d’avance. » Les observateurs internationaux, comme l’Union européenne ou les États-Unis, critiquent déjà les irrégularités potentielles, mais sans unité, leurs rapports ne changeront rien.
Perspectives sombres, mais un espoir chez la jeunesse ?
Malgré tout, des fissures apparaissent dans le monolithe biyassien. La jeunesse, impatiente de changement, se mobilise via les réseaux sociaux. Des figures comme Hiram Iyodi, 37 ans, ingénieur et candidat du Front des Démocrates Camerounais, surfent sur TikTok et X pour rallier les électeurs. « Arrêtez de nous traiter comme des pions électoraux », lance Nchang Cho Clinton, un militant de la société civile. Certains jeunes ont même collecté 40 millions de FCFA pour la campagne de Biya – un geste controversé qui soulève des doutes sur sa sincérité, vu le chômage endémique. Mais globalement, l’opposition rate le coche : au lieu de canaliser cette énergie, elle la laisse s’évaporer dans des alliances fantômes. En conclusion, qualifier l’opposition camerounaise de « plus bête d’Afrique » est provocateur, mais justifié par des décennies de ratés. Face à un régime autoritaire qui contrôle les médias, la justice et les forces de l’ordre, seule une coalition solide pourrait forcer l’alternance. Pour l’instant, le 12 octobre s’annonce comme une formalité pour Biya, prolongeant un règne qui frôle les records mondiaux. Le Cameroun mérite mieux que cette comédie récurrente. L’opposition saura-t-elle un jour apprendre de ses erreurs ? L’Histoire, tragique comme toujours, attend la réponse.
En attendant, force est de constater que l’opposition camerounaise est certainement la plus bête d’Afrique.