« Son père, redouté et redoutable, portait le nom impressionnant d’Ekan’a Mbongo n’a Ndongo. Ancien chef comptable de la Compagnie Soudanaise, il avait bâti son empire personnel : un domaine à Bonadibong-Akwa (Douala), un autre près du pont sur le Mungo, et un dernier à Bomono. Polygame, il laissa derrière lui une impressionnante descendance : 22 enfants — autant de filles que de garçons. Aujourd’hui, il n’en reste que cinq paires.

C’est dans cet héritage que s’inscrit Ekane Anicet, upéciste né le 17 avril 1951 à Douala. En janvier 1971, à Bafoussam, il assiste à un événement qui va marquer à jamais sa conscience politique : l’exécution d’Ernest Ouandié, figure emblématique de la lutte anticoloniale et dernier leader actif de l’Union des Populations du Cameroun (UPC).

Il poursuit ses études secondaires au Lycée Joss, puis au Collège Alfred Saker, avant de rejoindre le Collège Saint-Pierre à Lille, en France. Il y poursuit un cursus en économie et administration à l’université Lille 1 et à l’ESCAE.

Militant de l’UPC, il commence par un passage obligé : la case prison, version Ahidjo. Plus tard, il crée un mouvement politique issu du mythe fondateur de l’UPC, avant de s’engager aux côtés de Maurice Kamto, qu’il mène jusqu’aux portes de la présidence — dans l’espoir de libérer un peuple en souffrance depuis plus de 70 ans. Au moins.

Mais pourquoi Kamto ?

« Le MANIDEM, fidèle à son héritage nationaliste puisé dans les idéaux de l’UPC, a mûrement réfléchi : nous investissons le Professeur Maurice Kamto comme notre candidat à la présidentielle de 2025.

Nous ne sommes pas seulement un parti politique. Nous sommes les héritiers d’un idéal : celui de Ruben Um Nyobè, Félix-Roland Moumié, Ernest Ouandié, et tant d’autres, qui ont sacrifié leur vie pour que les Camerounais soient libres, dignes et souverains. »

« L’impérialisme ne porte plus les traits du colon blanc. Il a changé de visage : ce sont désormais nos propres élites — des colons noirs, agents serviles d’un système qui trahit chaque jour l’idéal de nos pères fondateurs. Un système verrouillé, réfractaire au changement, et qui étouffe toute velléité d’alternance. »

Et encore, pourquoi lui ?

« Parce que le Cameroun mérite un nouveau souffle. Le nier serait une insulte à la vérité. Le pays traverse l’une des périodes les plus sombres de son histoire contemporaine : corruption endémique, détournements à grande échelle (Glencore, Covid-Gate, CANGATE…), régions entières livrées au chaos (NOSO, Extrême-Nord), services publics en ruine, citoyens partageant l’eau avec les animaux, hôpitaux sinistrés, routes meurtrières, et un président invisible, qui ne s’est jamais rendu au chevet des victimes lors des grandes tragédies nationales (Ngouaché, Eséka, Meyo-Centre, Ngarbuh, Sam, Ebolowa, Efoulan…). »

« Nous ne partageons pas tout avec le MRC. Mais nous savons faire la différence entre un adversaire politique et un ennemi du peuple. Le vrai adversaire, c’est ce régime, pas ceux qui, comme nous, aspirent à une Cameroun libre. »

« Le Professeur Kamto n’est pas un choix de confort, c’est un choix de responsabilité historique. Sept ans après avoir été le principal challenger du pouvoir, il reste la figure qui incarne le plus l’espoir du changement. Sa voix est celle que le régime redoute le plus. Pourquoi ? Parce que le destin de Kamto a croisé celui d’un peuple prêt à se battre pour sa dignité. »

« En l’investissant, nous ne prétendons pas être une force électorale dominante. Nous posons un acte politique fort. Un signal : le pouvoir appartient au peuple, pas à un régime aux abois. Nous ne voulons pas imposer Kamto, nous voulons donner au peuple l’occasion d’en ôter un autre, qui s’accroche depuis trop longtemps sans jamais rendre de comptes. »

Celui qui parle ainsi n’a rien à prouver. Depuis les années 90 et l’affaire Yondo, Ekane Anicet, activiste infatigable, a tout subi : rafles, détentions arbitraires, bastonnades… et humiliations.

Il connaît les prisons de Douala, Yaoundé, Yokadouma, Edéa. Lors d’une répression célèbre, il reçoit 200 coups de fouet à la gendarmerie du port de Douala. Le Père Samuel Eboua, lui, en prit 250.

Le bourreau confiait : « L’astuce est de frapper jusqu’à l’apparition des premières ampoules sur la peau des fesses. »

Les victimes attendaient en silence la fin de leur supplice, à la merci des « techniciens » de la douleur. Une autre fois, après une manifestation, deux hommes viennent le chercher à son domicile, sans mandat. « Je suis ceinture noire 2e dan d’Aïkido », leur dit-il. « Je peux vous faire valser jusqu’au rez-de-chaussée. » Mais un gradé parvient à le calmer. Il est emmené à la BMM, jeté dans une cellule infestée de cafards. Au 4e jour, il est conduit à l’interrogatoire.

Un officier entre. Le policier l’accueille :

« Voici le fameux Ekane de l’affaire Yondo. Tu sais comment on salue un enchaîné ? »

D’un quart de tour, l’officier lui inflige une gifle monumentale. Propre et nette.

Ekane Anicet, alias Mot’a Bato, c’est 40 ans de militantisme, et autant de répression. Père de trois garçons et d’une fille. Toujours debout. Demain ? Il reste incertain. Après avoir été exclu de manière inique de la liste d’investiture, des gendarmes – familiers de sa permanence – viennent « lui parler ». Sans mandat. Encore.

Mais il leur répond :

« Un corps a-t-il encore peur du corbillard ? »

Le président Sam Mbaka, alerté, accourt. Et la suite ? Comme le disait Maurice Kamto : « Rien n’est fini tant que ce n’est pas fini. »

Édouard Kingue

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